L’enseignement systématique des langues étrangères à l’école trouve sa première formalisation au XVIIe siècle. Les manuels illustrés, désormais courants, étaient alors une innovation radicale, conçue pour faciliter l’accès au savoir. L’idée d’une éducation universelle, accessible à tous sans distinction de genre ou de classe sociale, surgit en Europe alors que l’organisation scolaire reste l’apanage des élites.
À cette période, un intellectuel d’origine morave bouleverse les principes éducatifs établis. En s’opposant à l’apprentissage par la contrainte, il propose des méthodes fondées sur la compréhension et l’expérience, ouvrant la voie à de profondes réformes pédagogiques.
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Comenius, un destin hors du commun au cœur de l’Europe du XVIIe siècle
Jan Amos Komenský, plus connu sous le nom de Comenius, voit le jour en 1592 à Uherský Brod, en Moravie. Son existence se déroule sur une Europe secouée par la guerre de Trente Ans et des bouleversements politiques constants. Pasteur, philosophe, pédagogue, il s’impose comme une figure de résistance intellectuelle, refusant l’obscurantisme et les divisions. Membre des Frères moraves, il s’oppose à toute forme d’exclusion, défend le dialogue et élabore une pensée qui ne connaît pas de frontières.
Son œuvre constitue un socle inédit pour la pédagogie moderne. Comenius rejette la sélection par la naissance, prend position pour l’éducation universelle et l’égalité des chances. Dans ses écrits, il affirme : « Que nul ne soit exclu en raison de son sexe, de sa fortune, de sa nation ou de sa religion. » Il puise cette conviction dans une vie marquée par l’exil, la précarité et la perte. Cet engagement, nourri par ses déplacements de la Moravie vers la Pologne, puis jusqu’à Amsterdam où il s’éteint en 1670, façonne une vision pédagogique singulière.
Ce qui frappe chez Comenius, c’est la cohérence de sa pensée et la force de ses propositions. Pour lui, l’école doit devenir un lieu d’émancipation, où le savoir se découvre par l’expérience et les sens. Ses concepts de « Didactica magna » et de « pansophia » forment la colonne vertébrale d’un projet profondément humaniste. À l’époque où l’Europe se déchire sous les coups des conflits religieux et sociaux, Comenius incarne un architecte du lien, un homme pour qui l’éducation reste le moteur de l’unité et du progrès collectif.
Pourquoi ses idées pédagogiques ont révolutionné l’éducation
La pédagogie moderne naît d’un refus des certitudes anciennes et des barrières sociales. Comenius, bien loin d’un système fermé, imagine un enseignement structuré qui suit le développement de l’enfant. Il divise le parcours scolaire en quatre grandes étapes, maternelle, école publique, école secondaire, académie, et replace l’élève au centre du dispositif. Un virage décisif, alors que l’école du XVIIe siècle reste largement synonyme de discipline rigide et de sélection.
Comenius introduit une méthode active fondée sur l’apprentissage par l’expérience. L’enfant n’est plus un simple réceptacle : il devient acteur, interroge, expérimente. L’éducation sensorielle prend ici toute sa place. Pour concrétiser cette ambition, il publie Didactica magna et conçoit Orbis Pictus, le tout premier manuel illustré à destination des enfants. À travers l’image, le savoir devient accessible, la compréhension s’enracine dans le réel, l’apprentissage s’ancre dans le vécu.
Avec la pansophia, Comenius défend une sagesse universelle et une véritable égalité des chances. Pour lui, aucune discrimination liée à la richesse, la religion ou au sexe ne saurait être justifiée. Il dit non à la punition corporelle, encourage la participation active et l’autonomie de l’enfant. Cette pédagogie s’inscrit dans un élan d’émancipation collective, où accéder au savoir devient un droit partagé et non un privilège réservé à quelques-uns.
Comenius face à Pestalozzi et d’autres grands noms : qui a vraiment changé la donne ?
Dans la galaxie des penseurs de l’éducation, Comenius occupe une place singulière, parfois éclipsée hors des cercles spécialisés. Pourtant, ses idées précèdent et inspirent celles de Johann Heinrich Pestalozzi, Friedrich Fröbel, Jean-Jacques Rousseau, Maria Montessori, John Dewey, Jean Piaget ou encore Célestin Freinet. Ces figures continuent d’alimenter aujourd’hui les débats sur l’éducation des jeunes enfants, la formation tout au long de la vie ou l’évolution du système scolaire.
Pour mieux cerner l’influence de Comenius sur ses successeurs, voici quelques filiations concrètes :
- Rousseau reprend la réflexion de Comenius dans Émile pour penser une éducation centrée sur la nature et l’enfant.
- Montessori et Freinet développent, après lui, la place de l’autonomie de l’enfant et de l’apprentissage par les sens.
- Dewey prolonge l’idée maîtresse d’éducation par l’expérience.
Jean Piaget, grande figure du XXe siècle, ne s’y trompe pas : il salue en Comenius le « grand ancêtre spirituel de l’UNESCO ». La pédagogie moderne s’est construite sur un dialogue permanent entre ces pionniers. Mais l’élan initial, la rupture, porte la marque de Jan Amos Komenský, celui qui a ouvert la brèche.
Des ressources pour explorer l’héritage vivant de Comenius aujourd’hui
Le legs de Jan Amos Komenský continue d’irriguer la réflexion pédagogique contemporaine. Les institutions européennes s’en font l’écho. Le programme Comenius, porté par la communauté européenne, a multiplié les échanges scolaires entre établissements ces dernières décennies. Le but : encourager la compréhension mutuelle, partager les méthodes, soutenir la formation continue des enseignants. Cette initiative s’inscrit dans la droite ligne de la vision d’une éducation ouverte et sans frontières.
L’UNESCO, de son côté, reconnaît l’universalité de la démarche de Comenius. Jean Piaget l’avait déjà souligné, voyant en lui un « grand ancêtre spirituel » de l’organisation. Aujourd’hui, la recherche contribue à faire vivre cet héritage : colloques, publications, traductions récentes comme celles de Lenka Hornáková ou d’Olivier Cauly (Comenius, le maître du monde, éditions du Félin) permettent à ses idées de circuler bien au-delà des salles de classe.
En France, l’influence de Comenius n’a jamais totalement disparu. Jules Michelet le qualifiait de « Galilée de l’éducation ». Des ressources sont accessibles à la BnF et dans plusieurs universités européennes. À Naarden, aux Pays-Bas, le musée Comenius expose ses manuscrits, ses outils et ses ambitions universalistes. L’enjeu n’est plus d’ériger une statue de bronze, mais bien de poursuivre cette exigence : l’accès au savoir pour tous, sans barrière.
Au final, l’héritage de Comenius ne se résume pas à des pages d’histoire ou à quelques réformes passées. C’est une invitation à repenser, sans relâche, le sens et la portée de l’éducation. La trace de cet humaniste, indélébile, continue de courir dans chaque classe où l’on croit que, partout, chacun mérite d’apprendre.

































































